Mémoire final de l'Union Paysanne de Lanaudière

Repenser l’agriculture et l’agroalimentaire pour nourrir adéquatement Lanaudière et le Québec d’aujourd’hui à demain
Mémoire présenté à la Commission sur l’avenir de l’agriculture
et de l’agroalimentaire québécois
Union Paysanne de Lanaudière, Joliette 25 mars 2007

Introduction

L’Union paysanne de Lanaudière rassemble les membres lanaudois de l’Union paysanne, un syndicat agricole et citoyen qui s’est donné pour but, depuis 2001 :

« de regrouper et de défendre les individus et les groupes qui veulent appliquer et promouvoir une agriculture et une alimentation paysannes, et appliquer également ce modèle paysan à l’exploitation des autres ressources naturelles du monde rural comme la forêt, la pêche, l’eau, etc. »

En tant que Lanaudoises et Lanaudois s’étant joints à l’Union paysanne, nous adhérons à la Déclaration de principe de notre syndicat et nous nous engageons, jusqu’à présent toujours de façon bénévole, dans la poursuite de sa mission. On retrouve parmi nous des productrices et des producteurs, des étudiantes et des étudiants en agriculture aspirant à devenir productrices et producteurs, des citoyennes et des citoyens occupant diverses fonctions dans leur vie quotidienne et professionnelle. Ensemble, comme membres lanaudois de l’Union paysanne, nous nous efforçons donc de contribuer à la promotion d’une agriculture axée :

« d’une part sur l’autosuffisance alimentaire, en vue de procurer à notre population une nourriture saine et diversifiée, dans le respect de la nature, des sols, des animaux, de l’environnement et des communautés; d’autre part, sur l’occupation du territoire, de façon à assurer le maintien de campagnes vivantes avec des paysans nombreux. »

Au cours des dernières années, nous avons profité de diverses tribunes et occasions pour faire valoir nos préoccupations et nos solutions en matière d’agriculture et d’agroalimentaire. Par exemple, nous avons déposé en 2004 un mémoire dans le cadre de la Commission parlementaire de l’agriculture, des pêcheries et de l’alimentation du Québec sur Les nouveaux enjeux de la sécurité alimentaire; nous avons participé avec d’autres partenaires, dont la Fédération de l’UPA de Lanaudière, à des démarches régionales de recherche-action sur l’agriculture écologique et le développement social durable, ainsi que sur la sécurité alimentaire; nous occupons un siège au sein de l’organisme de bassin versant de la rivière Bayonne, nous avons accueilli en 2005 le Congrès annuel de l’Union paysanne puis, en 2006, les délégués d’une réunion nord-américaine de la Via Campesina, regroupement international des organisations paysannes, nous avons organisé plusieurs années des foires des semences et des fêtes des récoltes, nous avons participé à la Huitième Université de Pays qui a eu lieu en Matawinie en octobre 2006, etc.

Pour nous, membres de l’Union paysanne de Lanaudière, la tenue des présentes consultations de la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois représente l’occasion par excellence d’exposer nos principaux arguments en faveur d’un virage majeur de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois. Et nous le faisons toujours sans nul autre soutien (sans ressources financières, matérielles ou humaines rémunérées) que la profondeur de nos convictions, l’importance des enjeux et l’urgence de la situation que nous percevons. Nous le faisons bénévolement, en volant des miettes de temps à nos autres occupations : études, travail, fermes, familles…

1. L’agriculture et l’agroalimentaire dans Lanaudière

L’agriculture et l’agroalimentaire sont des activités importantes pour la région de Lanaudière. Selon les Prévisions du MAPAQ pour 2005, on y trouverait 1 624 fermes offrant 3 200 emplois, 61 établissements de transformation qui en offriraient 2 500, ainsi que 608 commerces de détail et 789 établissements de restauration où on emploierait respectivement 6 000 et 7 100 personnes. Ces activités sont présentes dans les six MRC de la région. Globalement, la zone agricole couvre 209 398 hectares. Les productions agricoles les plus importantes, selon les recettes générées, sont les volailles (104 M $), le porc d’engraissement (68 M $), les vaches laitières (67 M $), les légumes (40 M $) et l’horticulture ornementale (35 M $). Beaucoup de chiffres, mais qu’est-ce qu’ils nous disent vraiment? Ou qu’est-ce qu’ils cachent? Est-ce que tout va bien dans l’agriculture et l’agroalimentaire lanaudois? En fait, les problèmes qu’on rencontre dans ces secteurs ne sont pas bien différents chez nous de ceux qui prévalent dans le reste du Québec.

Au cours des dernières décennies, le nombre de fermes a diminué peu à peu dans la région, en même temps que le genre d’agriculture pratiquée changeait. Elles étaient 3 715 en 1971, 2 170 en 1996, 1 835 en 2001 et 1 802 en 2004. Si on tient compte des prévisions du MAPAQ estimant qu’il y aurait 1 624 fermes toujours en opération en 2005, cela représente une diminution de 56,3 % en un peu plus de trente ans. Il n’y a pas si longtemps, l’agriculture familiale était une agriculture diversifiée, et les fermes ne mettaient pas « tous leurs œufs dans le même panier » en se consacrant comme la majorité de celles d’aujourd’hui à une seule production. De plus, les agriculteurs n’étaient pas à la merci des quelques multinationales qui les ont habitués à dépendre des semences et des intrants que leurs « experts » leur dictent d’acheter. Leurs fermes étaient davantage autosuffisantes. Et si leurs chiffres d’affaires étaient rarement mirobolants, en contrepartie, elles n’avaient pas à supporter le même surendettement justifié par l’achat de machineries et d’installations toujours plus grosses et supposément plus performantes, pour répondre aux exigences de plus en plus strictes et standardisées des marchés.

Aujourd’hui, le paysage agricole continue de se modifier d’année en année. Dans les MRC des Moulins, de L’Assomption et de Montcalm, ainsi que dans le Sud de la MRC de D’Autray, après la concentration des terres et des fermes, l’étalement urbain a aussi fait ses ravages. Sur de belles terres agricoles parmi les plus fertiles du Québec et les plus avantagées au point de vue du climat, on a vu pousser comme de la mauvaise herbe, depuis vingt ans, des champs de bungalows. Et on a l’impression que ça n’arrête jamais, que la banlieue s’étire de plus en plus vers l’Est, le long de l’autoroute 40, et vers le Nord, le long de la 25. À ce chapitre, la construction projetée du fameux « pont de la 25 » n’augure pas que le meilleur pour l’avenir.

En ce qui concerne le type de production, les changements vont dans différents sens. On voit de plus en plus d’anciennes fermes laitières se consacrer maintenant aux grandes cultures, ou se transformer même en écuries où on élève ou garde des chevaux d’équitation. Les champs de tabac qui, avec les cultures de patates, ont longtemps couvert une grande partie des terres sableuses de la région, font maintenant place à différents essais de productions alternatives : légumes, fruits, arbustes, plantes médicinales. Moins d’homogénéité, plus de diversité. Les séchoirs à tabac, et même les plus modernes, sont en voie de démolition. Dans la campagne lanaudoise, aussi, de plus en plus de bâtiments agricoles sont à l’abandon. D’anciennes maisons d‘habitants également. Dans la MRC de Montcalm surtout, la production maraîchère (crucifères et cucurbitacées principalement) est toujours présente malgré les aléas des marchés, les difficultés à recruter de la main-d’œuvre. Cette dernière est de moins en moins d’origine locale. Les travailleurs mexicains et latino-américains font partie du paysage lanaudois depuis plusieurs années déjà. C’est un des aspects de la mondialisation en agriculture.

En même temps que le type d’agriculture pratiquée changeait, dans Lanaudière comme dans tout le Québec, c’est toute la vision de ce que représente l’agriculture qui changeait. En choisissant de se définir dorénavant comme des « producteurs agricoles », et de considérer comme péjoratives et dépassées les appellations comme « cultivateurs », « fermiers » ou même « agriculteurs », sans qu’ils s’en rendent compte nécessairement, c’est tout leur rapport à la terre, aux plantes et aux animaux qui s’est transformé chez ceux qui, en principe, produisent nos aliments. Une bonne part des « producteurs agricoles » d’aujourd’hui ont acquis, grâce à une formation académique spécifique, de la formation continue et la lecture régulière de publications spécialisées, des connaissances théoriques et pratiques qui les ont amenés à se considérer comme des entrepreneurs dont le rôle est d’exploiter la terre pour en tirer le maximum de profits. Notons cependant que le nombre d’inscriptions aux programmes agricoles du Cégep régional de Lanaudière connaît présentement une baisse marquée, comme c’est le cas ailleurs au Québec. Pour certains candidats potentiels, le contenu pédagogique orienté vers le modèle agricole dominant et le fait de ne pas être issu du milieu agricole peuvent constituer des facteurs démotivants.

Parallèlement à ces changements dans le paysage agricole lanaudois et dans la tête des agriculteurs, le monde de la distribution alimentaire s’est aussi grandement modifié. Moins de bannières, moins de petites épiceries indépendantes (bien qu’on en retrouve encore quelques-unes dans les municipalités éloignées), pratiquement plus de marchés publics, davantage de grandes surfaces devenues de plus en plus grandes dans les agglomérations plus importantes (qui se développent, rappelons-le, sur d’anciennes et excellentes terres agricoles). Des Wal-Mart, aussi, et quelques autres grandes surfaces à escompte qui réservent un espace de plus en plus important à des produits alimentaires. Sur les tablettes de tous ces magasins, de plus en plus d’aliments transformés, prêts à manger, contenant trop de sucre, trop de gras, trop de sel. Beaucoup d’aliments qui proviennent du monde entier, et beaucoup parmi eux qui pourraient être produits chez nous. Libéralisation des marchés « oblige ». Les grandes chaînes achètent en fonction d’un volume garanti, et elles nous vendent des produits dont la « qualité » est avant tout basée sur l’apparence et l’uniformité. Les Lanaudoises et les Lanaudois ont peine à identifier les produits de base, comme les fruits et les légumes, qui viennent de leur région. En général, dans la section des produits régionaux, ils trouvent surtout des produits dits « du terroir », c’est-à-dire des produits de luxe qu’ils vont parfois offrir en cadeau. Quant à la section des produits biologiques, elle contient surtout des produits importés. Donc du biologique peut-être pas si écologique, vu les kilomètres alimentaires parcourus.

Quelques citoyens-consommateurs, plus audacieux, sont devenus partenaires d’une ferme biologique qui fait de l’agriculture soutenue par la communauté (ASC). On en trouve quelques-unes dans la région, et elles desservent en partie une clientèle de la région montréalaise.

Mais plus au Nord, dans la MRC de Matawinie et dans le Nord de celle de D’Autray, la situation de l’agriculture a été et demeure différente. Coincée entre la forêt et les montagnes, il y a longtemps qu’elle était devenue là une activité marginale. Dès les années 60 et 70, les experts agronomes avaient déclaré que ces anciennes terres de colonisation, souvent rocheuses, moins fertiles et disposant d’un climat moins clément, n’étaient pas vraiment propices à l’agriculture. À l’agriculture intensive préconisée, en tout cas. Aujourd’hui, les observateurs avertis savent qu’on y trouve une effervescence nouvelle. D’une part, vu la relative proximité avec Montréal, la beauté des paysages et les prix abordables des terres et terrains, de plus en plus baby-boomers citadins s’y installent pour jouir d’une retraite champêtre. D’autre part, des jeunes, dont plusieurs également venus de la ville (donc des agriculteurs de première génération), tentent d’y réinventer une agriculture à dimension humaine, à base de produits plutôt biologiques, souvent transformés artisanalement et généralement destinés à la vente directe sur le marché local. À eux aussi, ces terres-là, plus ou moins abandonnées et en friches, sont encore accessibles. Leur vision, leurs façons de travailler et leurs projets sont souvent plus communautaires ou coopératifs.

2. Pourquoi faut-il changer le système agroalimentaire?

Pour nous, membres de l’Union paysanne de Lanaudière, le bouillonnement d’idées et les expériences nouvelles tentées par les jeunes du Nord de la région est inspirant. C’est une sorte de laboratoire plein de possibilités et d’espoir, malheureusement il est toujours confiné à une certaine marginalité. À l‘échelle de la région et de la province, ces projets demeurent peu nombreux, peu soutenus, peu reconnus. Nous croyons pourtant qu’il faut aller dans ce sens, mais plus loin encore et plus vite. Nous croyons qu’il faut changer en profondeur tout le système agroalimentaire, étant donné l’ampleur sans précédent des problèmes actuels.

Bien sûr, en raison de la présente crise, l’avenir de ce secteur est compromis. Beaucoup d’agriculteurs n’arrivent plus à tirer un revenu décent de leur métier. Ils réclament toujours davantage de soutien des gouvernements. Ils clament toujours leur droit de produire. Mais ça n’est pas le pire. Le plus grave, ce sont les conséquences probables de cette crise sur l’ensemble de la société québécoise, sur son approvisionnement alimentaire à moyen terme. C’est à ce niveau qu’il faut engager plus sérieusement la réflexion.

Pour nous, s’il faut changer le système agroalimentaire, c’est parce qu’il est bâti sur de mauvaises fondations, c’est-à-dire sur un modèle pour le moins questionnable. Nous allons donc questionner ce modèle. Cela signifie que nous allons ajouter aux questions proposées par la Commission d’autres questions de notre cru. En fait, deux seules questions toutes simples, mais qui nous semblent préalables et incontournables. Et nous allons, bien sûr, y attacher nos propres réponses.

La toute première question est : À quoi doivent servir l’agriculture et l’agroalimentaire?

Cette première question est celle de la ou des fonction(s) de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Un élément central de ses fondements. On peut l’aborder de différentes façons. Si on y allait par automatisme, sans réfléchir, la première réponse qu’on s’attendrait à obtenir est celle-ci : ces activités servent à nourrir les humains. En effet, elles produisent des aliments qui servent à combler un besoin essentiel chez eux. Un enfant nous donnerait cette réponse.

Pourtant, dans l’état actuel des choses, dans le monde aveuglé par l‘économisme dans lequel on vit, beaucoup, beaucoup trop d’adultes n’ont plus ce réflexe naturel. Pour eux, l’agriculture et l’agroalimentaire sont d’abord des activités économiques réalisées dans le seul ou principal but de générer des profits à court terme. Les aliments produits sont considérés comme des marchandises. Selon nous, c’est un glissement majeur, la première source des problèmes actuels.

À notre avis, l’agriculture et l’agroalimentaire ont d’autres fonctions qu’il faut reconnaître. Oui, elles doivent d’abord produire des aliments qui serviront à nourrir les humains. D’ailleurs, se nourrir est plus qu’un besoin fondamental, c’est également un droit reconnu internationalement. Pour leur part, ceux qui produisent les aliments doivent aussi pouvoir vivre convenablement de leur activité. C’est tout à fait légitime. Dans cette mesure, celle-ci a donc bel et bien une fonction économique, inscrite dans le moyen et le long termes. Mais nous adhérons au principe plus large de la multifonctionnalité de l’agriculture, que la Commission a mentionné parmi le vaste éventail des thèmes soumis à la consultation.

Selon nous, les autres fonctions de l’agriculture sont de préserver l’environnement et le paysage, de contribuer à la bonne santé de la population en lui fournissant des aliments frais et sains, de participer à l’occupation du territoire et à l’enracinement des occupants, à la structuration d’emplois locaux et stables, ainsi qu’à la revitalisation, à la dynamique et à la cohésion sociale de la ruralité. Donc, des fonctions écologiques et socioécologiques. Nous croyons que le Québec devrait placer le principe de la multifonctionnalité de l’agriculture au cœur de sa prochaine politique agricole et agroalimentaire, comme l’a fait par exemple la France. Nous croyons que l’État devrait soutenir les pratiques agricoles en fonction de ce principe.

Présentement, les orientations sont tout autres. Seule la fonction économique de l’agriculture est véritablement mise de l’avant, et elle passe par un filtre d’analyse particulier, visant le court terme. Malgré l’engagement déclaré du dernier gouvernement libéral en faveur du développement durable et le changement de nom du ministère de l’Environnement pour en donner l’illusion, l’agriculture et l’agroalimentaire sont toujours considérés comme des secteurs d’activités essentiellement économiques. Pire encore, ils sont toujours pensés, organisés et soutenus en fonction d’une économie néolibérale à la merci des marchés internationaux et d’une poignée de multinationales de plus en plus toutes-puissantes. On considère que le « bioalimentaire » a pour rôle de produire des marchandises particulières qui sont des aliments. Les politiques agricoles du Québec contribuent à promouvoir cette vision unidirectionnelle et nous faisons partie de ceux qui déplorent « la vocation trop étroitement économique du MAPAQ », ainsi que le mentionnait le document de consultation de la Commission.

Selon nous, également, le modèle agricole prévalant a un autre fondement idéologique majeur qui se greffe à la vision néolibérale promue. C’est toute une conception utilitariste et mécaniste de la vie et de la nature qui justifie l’exploitation actuelle des ressources naturelles par des méthodes productivistes et intensives. Celles-ci entraînent différentes conséquences négatives pour l’environnement et la santé humaine.

La deuxième question comporte deux volets : Est-ce que la situation actuelle est viable? Est-ce qu’elle peut le devenir si on continue de la même façon?

A notre avis, la réponse au premier volet de cette question est NON, la situation actuelle n’est pas viable, malgré les pansements apposés un après l’autre sur l’hémorragie. Ainsi, depuis une dizaine d’années, la pensée mercantile a conduit le monde agricole et agroalimentaire de glissement en dérive. Les promesses non tenues de la mondialisation économique ont fait dans les rangs des agriculteurs québécois des ravages que même les ténors du monopole syndical dénoncent maintenant (Laurent Pellerin, éditorial de La Terre de Chez Nous, 22 février 2007, p. 6). Sont pointés du doigt, non sans raison, les experts économistes et autres fonctionnaires qui les ont encouragés à emprunter cette voie, notamment au fameux Forum des décideurs de 1998. Mais il est quand même temps que les dirigeants de l’UPA apprennent à accepter leur part de responsabilité. Ils doivent quitter l’attitude de victimes qu’ils adoptent spontanément devant les problèmes auxquels ils sont confrontés.

Si la crise actuelle en agriculture découle directement de ces orientations, les administrateurs du monopole syndical y avaient bien adhéré. Et il ne s’agit pas seulement d’une crise des revenus, bien que cet aspect affecte particulièrement les producteurs. Le document de consultation de la Commission a donné un bon aperçu des multiples autres problèmes qui composent cette crise : diminution et concentration des fermes, dépendance croissante à l’égard des marchés étrangers et des ententes sur le commerce international, surendettement, hausses importantes du prix du carburant, difficultés à recruter de la main-d’œuvre, relève agricole compromise notamment parce que le coût des terres et des fermes n’est plus abordable, dévalorisation du métier d’agriculteur et diminution du nombre d’inscriptions aux programmes de formation dans ce domaine, conséquences environnementales de l’agriculture intensive, etc. Nous pourrions ajouter quelques autres symptômes de cette crise qui affectent plutôt des agriculteurs n’ayant pas nécessairement adhéré au modèle préconisé. Pour ceux-ci, les difficultés vécues découlent notamment du manque de soutien à l’agriculture biologique et à l’agriculture de petit volume visant une mise en marché locale de produits sains, frais et transformés; de la non-reconnaissance du statut de producteur à ceux d’entre eux qui n’atteignent pas le niveau miminum de ventes fixé; de la non-reconnaissance des efforts particuliers en vue de préserver l’environnement, le paysage, l’occupation dynamique du territoire, etc. déployés par ces agriculteurs qui pratiquent une agriculture diversifiée, locale et à petite échelle; et de la non-reconnaissance de la contribution de ces agriculteurs à une forme d’éducation populaire en faveur de la santé, de l’environnement, de la responsabilisation des citoyens-consommateurs, etc.

Sur le plancher des vaches et dans le champ des plantes, la crise se manifeste aussi par toutes les conséquences des pratiques basées sur la vision utilitariste et mécaniste de la vie. Ainsi, les épidémies animales comme la vache folle, le circovirus porcin et la grippe aviaire ne sont pas sans lien avec les pratiques d’élevage intensif que sont la concentration d’un grand nombre d’animaux dans un espace restreint et confiné, l’utilisation d’antibiotiques à des fins préventives, l’utilisation d’hormones de croissance, la séparation hâtive des petits mammifères (porcelets, veaux) d’avec leurs mères qui les prive d’anticorps naturels, une perte de biodiversité due à l’abandon des races traditionnelles moins performantes, etc. Du côté végétal, on observe le développement de plantes résistantes aux herbicides, une perte de biodiversité associée à l’abandon des variétés traditionnelles, la contamination génétique par les OGM disséminés par le vent, etc.

Nous ne croyons pas possible et nous ne croyons pas souhaitable que le gouvernement continue à promouvoir et à soutenir le modèle agricole et agroalimentaire qui prévaut. La persistance de cette orientation ne pourrait que précipiter le déclin de l’agriculture québécoise et entraîner la société québécoise tout entière vers une dépendance totale à l’égard des produits alimentaires importés. Déjà, le constat de la commission sur la situation actuelle nous apparaît aberrant et fort alarmant, quand elle affirme que : « l’économie du Québec est relativement dépendante des marchés extérieurs, tant pour sa consommation que pour sa production de produits alimentaires ». À l’échelle internationale, la production agricole québécoise est nettement désavantagée, tant en raison du climat que des coûts de la main-d’œuvre et des limites des volumes qui peuvent être produits. Il ne sera jamais possible, dans un contexte de libre marché, de concurrencer les produits agricoles des Etats-Unis, du Brésil et de la Chine, par exemple.

De plus, à notre avis, ce n’est certainement pas la fuite en avant qui résoudra les problèmes croissants de notre agriculture et de notre système agroalimentaire. Par exemple, en matière de problèmes environnementaux, nous ne croyons pas que la meilleure solution et la plus durable pour disposer des surplus de lisier générés par l’élevage porcin intensif visant l’exportation consiste à développer des usines de traitement et de « valorisation » de ces matières polluantes. Nous croyons plutôt qu’il faut régler le problème à la source en limitant la production porcine, c’est-à-dire en privilégiant la production destinée au marché intérieur. Nous croyons qu’il faut en même temps encourager la gestion sur litière des déjections animales pour tous les types d’élevages. Un autre exemple serait celui de la production agricole visant la transformation en éthanol. Selon nous, ce serait faire fausse route que d’encourager les producteurs à poursuivre le développement intensif de cultures polluantes comme celle du maïs dans le seul but d’approvisionner de grandes usines centralisées de production d’éthanol. Pour faire face aux problèmes d’approvisionnement en carburant qui vont certainement augmenter dans l’avenir, il nous apparaîtrait plus légitime de chercher des solutions visant à réduire l’utilisation de carburant, notamment celui qui sert à transporter les aliments sur des distances démesurées dans le présent système centralisé de distribution. On pourrait aussi étudier la possibilité que les agriculteurs réservent une partie de leur surface de culture (10 à 15 %) à des productions qui seraient destinées à la transformation en éthanol en vue de répondre aux besoins en carburant propres à leur entreprise. On pourrait également étudier la possibilité de récupérer certains résidus de cultures ou d’autres sources (industrie de la transformation alimentaire, municipalités, etc.) en vue de produire de l’éthanol à une échelle locale ou régionale. Enfin, on aurait sans doute avantage à réévaluer les possibilités d’une agriculture moins mécanisée basée sur un recours accru à la main-d’œuvre, dans la mesure où on parvient à susciter de l’intérêt pour ce travail chez les candidats potentiels.

Cela dit, il existe des modèles agroalimentaires déjà plus prometteurs, dans une optique de pérennité, que celui qui domine présentement au Québec et au Canada. Par exemple, en tant que membre de la Via Campesina, regroupement international d‘organisations paysannes, L’Union paysanne a eu l’occasion de réfléchir aux particularités et aux forces de l’agriculture paysanne durable à laquelle elle adhère. La définition de ce type d’agriculture peut être résumée en cinq points. Ainsi, l’agriculture paysanne durable :

1. S’appuie sur des technologies qui permettent un équilibre entre la nature, la société, l’économie et la diversité culturelle de nos peuples. Ces technologies intègrent à la fois les pratiques ancestrales de l’agriculture paysanne traditionnelle et l’expérience positive tirée de la recherche;

2. Tend à produire des aliments biologiques, organiques ou écologiques, ou du moins des aliments de qualité produits avec le moins possible de produits chimiques industriels;

3. Est basée sur le respect de la vie et la protection de la santé des producteurs et travailleurs agricoles, des peuples indigènes, ainsi que des consommateurs. Elle vise la qualité de vie pour tous ces humains;

4. Intègre des valeurs éthiques, notamment l’égalité dans les possibilités de produire et de vendre des aliments en obtenant des prix justes et stables;

5. Nécessite l’accès à la terre et aux moyens de production pour les paysans.

3. En quoi et comment changer le système agroalimentaire?

La démarche de réflexion à laquelle nous avons convié les membres de la Commission, tout au cours des pages précédentes, visait à démontrer qu’il fallait travailler en amont des multiples problèmes que connaît le système agroalimentaire québécois. Autrement dit, il fallait remonter à la source de ces problèmes, ce qui signifiait changer les bases du système agroalimentaire, avant de s’attaquer aux multiples problèmes qui sont les conséquences de l’application du modèle prévalant.

À notre avis, donc, le changement à opérer doit être majeur, si l’on désire vraiment assurer à la population québécoise un approvisionnement alimentaire sécuritaire dans une perspective de développement durable. Nous formulons quelques recommandations qui devraient contribuer à réaliser les changements visés.

En premier lieu, d’un point de vue plus général, il nous apparaît nécessaire d’inscrire certains principes ou orientations fondamentales dans la prochaine politique agricole et agroalimentaire dont se dotera le Québec.

1. Il faut orienter le développement de l’agriculture québécoise vers l’atteinte d’une véritable souveraineté alimentaire. Il vaut la peine de souligner que ce concept (récupéré par différents groupes) a été créé par les militants de la Via Campesina en 1996, lors du Sommet mondial de l’alimentation à Rome, pour pallier les limites du concept de sécurité alimentaire. La définition de ce concept a été remise à jour tout récemment, par les 500 représentants de plus de 80 pays réunis lors de la tenue au Mali du premier Forum mondial sur la sécurité alimentaire en février 2007. Selon eux :

« La sécurité alimentaire est le droit des peuples à une alimentation saine, dans le respect des cultures, produite à l’aide de méthodes durables et respectueuses de l’environnement, ainsi que leur droit à définir leurs propres systèmes alimentaires et agricoles. Elle place les producteurs, distributeurs et consommateurs des aliments au cœur des systèmes et politiques alimentaires en lieu et place des exigences des marchés et des transnationales. Elle défend les intérêts et l’intégration de la prochaine génération. Elle représente une stratégie de résistance et de démantèlement du commerce entrepreneurial et du régime alimentaire actuel. Elle donne des orientations pour que les systèmes alimentaires, agricoles, halieutiques et d’élevage soient définis par les producteurs locaux. La souveraineté alimentaire donne la priorité aux économies et aux marchés locaux et nationaux et fait primer une agriculture paysanne et familiale, une pêche traditionnelle, un élevage de pasteurs, ainsi qu’une production, distribution et consommation alimentaires basées sur la durabilité environnementale, sociale et économique. La souveraineté alimentaire promeut un commerce transparent qui garantisse un revenu juste à tous les peuples et les droits des consommateurs à contrôler leurs aliments et leur alimentation. Elle garantit que les droits d’utiliser et de gérer nos terres, territoires, eaux, semences, bétail et biodiversité soient aux mains de ceux et celles qui produisent les aliments. La souveraineté alimentaire implique de nouvelles relations sociales, sans oppression et inégalités entre les hommes et les femmes, les peuples, les groupes raciaux, les classes sociales et les générations. »

2. Il faut baser l’agriculture sur une véritable vision de développement durable, qui vise un équilibre entre les dimensions économique, écologique et sociale. En outre, nous considérons que l’attention accordée aux dimensions écologique et sociale se répercutera favorablement sur la dimension économique, mais que celle-ci ne doit plus être prépondérante (tendance économiciste) ni véhiculer l’idéologie néolibérale.

3. Il faut orienter la politique agricole et agroalimentaire en fonction du principe de la multifonctionnalité de l’agriculture.

4. Il faut soutenir l’agriculture en fonction de critères associés au principe de l’écoconditionnalité (encourager et récompenser les pratiques qui préservent l’environnement) et ajouter celui de la socioconditionnalité (encourager et récompenser les pratiques qui stimulent la vitalité, la dynamique et la cohésion sociale dans la ruralité).

En second lieu, nous présentons en vrac quelques recommandations plus spécifiques mais non exhaustives qui constituent, en quelque sorte, des applications des principes fondamentaux exposés précédemment.

5. Réapprendre collectivement à parler d’agriculture, non plus comme s’il s’agissait d’une industrie, mais en reconnaissant ce secteur d’activité comme un moteur de santé biologique, environnementale et sociale.

6. Soutenir prioritairement l’agriculture locale et les circuits courts de distribution des aliments frais et transformés.

7. Éduquer les consommateurs afin de les encourager à soutenir prioritairement les produits alimentaires d’origine locale.

8. Mettre en place un système d’étiquetage qui renseigne pleinement les consommateurs sur les produits qu’on leur offre : contenu nutritif, présence d’OGM (étiquetage obligatoire) ou de pesticides, irradiation, provenance précise, etc..

9. S’assurer que tous les processus d’évaluation des nouvelles substances (pesticides par exemple) ou des nouveaux procédés (irradiation, nanotechnologies, OGM) utilisés en agriculture, ou encore des nouveaux aliments produits soient réalisés à partir d’un financement public. S‘assurer également que les instances d’approbation de ces substances, procédés et produits (telles l’Agence canadienne d’inspection des aliments et Santé Canada) n’obtiennent pas de financement privé.

10. Adopter une approche préventive et appliquer systématiquement le principe de précaution à l’égard de toute nouvelle substance, de tout nouveau procédé ou de tout nouveau produit agricole ou agroalimentaire. Cela signifie ne pas permettre leur utilisation ou leur mise en marché tant que leur innocuité n’aura pas été démontrée. Cela signifie donc de reverser la logique actuelle quant à l’autorisation de ces substances, procédés et produits.

11. Appliquer aux produits alimentaires importés les mêmes exigences que celles que doivent respecter les produits québécois.

12. Faire de la vulgarisation auprès de la population générale, afin de promouvoir une agriculture sage basée sur une connaissance des cycles bioalimentaires, de la microbiologie, des cycles de l’eau en agriculture, de l’agrodiversité, de la pollution génétique, etc.

13. Enseigner aux enfants, dès leur jeune âge (école primaire), à développer une pensée holistique qui leur permettra de mieux connaître et comprendre les processus naturels, en intégrant par exemple des connaissances sur la vie des microorganismes, la biodiversité, les relations symbiotiques, les traditions agricoles d’ici, les nouvelles techniques agricoles, des notions pratiques de nutrition et de jardinage, etc.

14. Organiser des campagnes de sensibilisation pour revaloriser auprès des jeunes Québécois les métiers d’agriculteur et d’ouvrier agricole, afin de contribuer à une revitalisation de ce secteur qui ne s’appuie plus principalement sur le recours à une main-d’œuvre étrangère. Dans une perspective d’agriculture paysanne durable et de sécurité alimentaire, l’agriculture locale doit être privilégiée et soutenue aussi bien pour les régions du Québec que pour les régions d’origine des travailleurs saisonniers étrangers. C’est une question de solidarité entre paysans et non le contraire, car le travail saisonnier des ouvriers étrangers déstructure la vie sociale dans leurs communautés d’origine.

15. Réorienter la formation théorique et pratique en agriculture vers des objectifs et techniques durables (biologique, petite échelle, marché local, etc.) et rendre ces programmes accessibles dans tous les établissements qui offrent de la formation dans le domaine agricole.

16. Soutenir plus particulièrement l’établissement des agriculteurs de première génération, n’ayant pas de parents agriculteurs mais souhaitant exercer ce métier.

17. Faciliter la remise en culture des terres en friche et l’accès à ces terres pour les jeunes de la relève, notamment les agriculteurs de première génération.

18. Favoriser les initiatives novatrices qui puisent à un patrimoine international de plus en plus partagé de techniques de production écologique.

19. Soutenir les expériences novatrices d’agriculture communautaire.

20. Permettre l’accréditation de plus d’un syndicat agricole, afin d’offrir aux agriculteurs le libre choix d’adhérer à celui qui représente le mieux leur vision et leurs intérêts.

21. Assouplir les systèmes de gestion de l’offre afin notamment de faciliter l’accès à ces productions pour de nouveaux agriculteurs.

22. Déployer tous les efforts possibles pour sortir le secteur agricole et agroalimentaire des négociations de l’OMC.

23. Cesser de soutenir financièrement les productions déficitaires destinées à l’exportation.
Conclusion

Nous remercions la Commission sur l’avenir de l’agriculture et de l’agroalimentaire québécois de nous avoir permis d’exprimer notre opinion quant aux orientations à donner à une future politique agricole et agroalimentaire dont le Québec devrait se doter sous peu. Cette consultation a été pour nous l’occasion de nous livrer à un nouvel exercice de réflexion collective et de cheminement démocratique et participatif afin d’organiser ensemble nos idées concernant les principaux thèmes qui rejoignent nos préoccupations à l’égard du système agroalimentaire.

Nous espérons que notre contribution apportera aux membres de la Commission des éléments utiles qui sauront nourrir leurs propres réflexions. Enfin, nous sommes confiants que cet effort collectif qui mobilise au Québec beaucoup de groupes et de personnes saura se traduire par des améliorations sensibles à notre système agroalimentaire, de manière à ce que l’ensemble de la population bénéficie d’un approvisionnement alimentaire le plus possible sécuritaire, sain, durable et d’origine locale.

Nous tenons à souligner cependant qu’en déposant ce mémoire, nous ne déléguons pas toute notre responsabilité à la Commission, ni aux politiciens et aux fonctionnaires qui devront disposer des recommandations du rapport final. Au contraire, nous souhaitons poursuivre notre engagement citoyen afin de contribuer à la réalisation des orientations et des recommandations qui nous tiennent à cœur.

Bibliographie

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